« J'avais pris peur parce que quelqu'un m'avait mordu. C'était un autre chiot, à peu près du même âge que moi. J'ai dû lui donner un coup de pied inconsciemment quand j'ai essayé de me retourner dans cette cage étroite et rouillée. Nous étions obligés de la partager avec environ neuf autres chiens. La cage se trouvait à l'arrière d'un camion. Au-dessus de notre cage, ainsi qu'à droite et à gauche de nous, se trouvaient d'autres cages dans lesquelles les chiens étaient enfermés. Nous nous sommes serrés les uns contre les autres, ne sachant pas ce qui allait nous arriver.

Je suis né et j'ai grandi dans les rues de Siem Reap. La vie était dure, mais j'arrivais à survivre grâce à des gens sympathiques qui me lançaient de temps en temps un peu de nourriture. J'étais libre. Jusqu'au matin où j’ai été capturé. Je m’étais couché dans une de mes cachettes et je dormais encore, le jour ne s'était pas encore levé complètement. Soudain, j'ai été brutalement saisi par le cou et avant que je puisse me défendre, je me suis retrouvé dans une cage avec d'autres chiens.

Le voyage a duré une éternité. Il n'y avait ni nourriture ni eau et il faisait chaud et étouffant sous la bâche du camion. A un moment donné, le camion a ralenti et nous nous sommes retrouvés dans une allée poussiéreuse. La bâche a été ouverte d’un seul coup et nous avons été aveuglés par le soleil. Avant qu'on ne s'en rende compte, les cages ont été déchargées du camion sans ménagement. Tous les chiens autour de moi gémissaient et certains n’arrivaient pas à tenir en place. Quelques hommes nous ont brutalement extirpés de nos caisses de transport et nous ont jetés dans une grande cage métallique, qui était fixée au sol cimenté par des barres épaisses.  Beaucoup de chiens autour de moi étaient gravement blessés et avaient des plaies ouvertes. Tous ont eu peur – moi avec ! De plus en plus de chiens se sont retrouvés entassés dans la cage, à tel point qu’il ne nous restait pratiquement plus de place pour nous asseoir. Puis la nuit est tombée.

Le lendemain matin aussi, nous avons en vain attendu de la nourriture ou de l'eau. Au lieu de cela, nous avons dû assister à des scènes horribles qui se déroulaient dans la cour. Les chiens tremblants et gémissants étaient littéralement battus hors de leur cage pour se retrouver dans une plus petite cage. Jusqu'à 15 chiens ont ainsi été forcés à entrer dans chaque cage. Certains d’entre eux étaient simplement apathiques, d'autres agressifs et hargneux.  Mais tous étaient effrayés, je pouvais le voir dans leurs yeux.

Puis les cages ont été descendues dans une fosse remplie d'eau. J'ai vu les chiens se débattre sous l'eau, l'eau éclaboussant de partout. Cela semblait prendre une éternité avant que les animaux ne deviennent calmes, ne bougent plus, n'aboient plus, ne respirent plus. Les hommes ont sorti de l'eau les cages remplies de chiens morts et les ont jetés dans de grandes marmites d'eau bouillante. Beaucoup plus de chiens encore ont trouvé la mort de cette manière cruelle ce jour-là. J'étais choqué, je gémissais doucement et j'essayais en vain de trouver un moyen de m’enfuir de cet enfer.

Tout d’un coup, il y eut de l’agitation dans la cour. Des gens portant des T-shirts bleus étaient arrivés. Ils ont parlé avec insistance à l'un des hommes. Ce dernier était en colère. Mais les étrangers n'ont pas abandonné. Ils se sont dirigés vers ma cage. J'essayais désespérément de me faufiler entre les barreaux et je gémissais sans cesse. Les étrangers m'ont tendu la main et m'ont touché avec précaution et amour. Contrairement aux hommes qui se trouvaient dans la cour. Ensuite, j'ai pu quitter la cage. Un autre chien a également été libéré de la cage. Les autres, perplexes, nous regardaient, ne sachant pas si notre fin approchait maintenant ou si nous avions un meilleur avenir devant nous.

La deuxième hypothèse s’avérait être le cas, puisque les gens m'ont transporté avec précaution loin de cette horrible cour. Ils m'ont caressé et m'ont donné de l'eau. Je me suis vite rendu compte que c'était un bon signe et que j'avais probablement eu de la chance. Dans la voiture, je me suis allongé sur les genoux d'un de mes sauveteurs et j'ai remarqué à quel point j'étais fatigué. Je suis donc tombé dans un sommeil profond.

Je me suis réveillé lorsque la voiture s'est arrêtée et que l’on m’en a sorti. Dans un bâtiment, j'ai été examiné et baigné. Ensuite, un couple est arrivé puis m'a emmené. Ils m'ont donné de la nourriture, de l'eau, un endroit confortable pour dormir et ont pris soin de moi avec amour. Aujourd'hui, je vis là avec deux autres chiens qui ont également eu de la chance et ont pu être sauvés des griffes des commerçants de viande de chien. Parfois, dans mes rêves, je revois des images de cette horrible cour et j'entends les gémissements des autres chiens. Alors je suis infiniment reconnaissant vis-à-vis de mes sauveteurs en t-shirt bleu et aux personnes qui m'ont adopté.»